APERÇUS SUR LAON

 

APRÈS LA GUERRE

Pour renseigner ceux qui ne connaissent pas Laon, je le décrirai : une table triangulaire de pierre calcaire de deux kilomètres environ de côté, reposant sur un tas de sable de cent mètres de haut et excavé en son milieu d'une fosse, appelée « Cuve Saint-Vincent », de six à sept cents mètres de diamètre, s'ouvrant sur le front S.-E. du triangle.

 

 

 

Cette butte, « la Montagne de Laon », est placée dans la plaine, comme une sentinelle avancée à six ou sept kilomètres au Nord de tout un système de collines découpées, de même constitution géologique, qui s'étendent au Sud, de Reims vers Saint-Gobain. C'était donc, aux temps anciens, un emplacement de choix pour en faire une forteresse, d'autant plus facile à réaliser qu'on trouvait sur place, au sommet, des matériaux pour la construction des remparts et une ceinture de sources pour l'alimentation, ce qui était inappréciable en cas de siège. La présence de ces sources s'explique facilement : entre la table de calcaire perméable et le sable de la montagne se trouve une mince couche d'argile qui empêche la descente des eaux dans le sable et les dirige, suivant le nivellement, vers les sources.

Jusqu'en 1914 Laon a toujours été entretenu comme forteresse. D'abord la ville avait ses remparts qui ne peuvent disparaître parce qu'ils sont des murs de soutènement pour les terres en même temps qu'ils étaient des murs de défense. De plus elle avait trois systèmes d'ouvrages fortifiés aux pointes du triangle : la Citadelle, les batteries de Classon et de Morlot. La guerre récente a fourni la preuve qu'ils sont maintenant sans utilité défensive.

Dans l'enceinte resserrée des remparts, l'évêché et la cathédrale, les abbayes, les chapelles avaient occupé les plus beaux emplacements, ne laissant aux rues tortueuses et aux demeures des bourgeois qu'un espace très restreint. Cet état d'origine influera toujours sur le Laon du plateau.

Comme extension, la ville avait autour de sa butte unie série de villages isolés : La Neuville, Saint-Marcel, Vaux, Ardon, Leuilly et Semilly, appelés ses faubourgs, aux maisons sans étage, toutes du même modèle, construites en moellons, couvertes en tuiles plates, comme il est facile de les trouver encore dans les parties anciennes de ces agglomérations.

 

 

 

 

Extension de Laon avant la guerre de 1914. Après 1870, Laon avait besoin de s'agrandir mais il ne pouvait guère se développer sur le plateau. Il y avait quelques espaces libres au delà des remparts, vers les Creutes Saint-Vincent, mais ils furent expropriés pour en faire l'Arsenal, la Caserne et les terrains militaires, l’École normale de garçons. Le choix de ces emplacements ne fut peut-être pas des plus heureux. Établir un arsenal au haut d'une colline, à trois kilomètres d'une gare, nécessitant par suite des dépenses continues de transport de matériel et de munitions, à l'arrivée et au départ, c'est sacrifier légèrement l'intérêt général à l'intérêt de quelques particuliers. Construire des édifices sur une crête, face aux tempêtes, c'est en rendre le séjour bien souvent pénible et doubler les frais d'entretien. On construisit alors des maisons dans les propriétés particulières en bordure des promenades, notamment sur le boulevard Michelet et l'avenue de la République qui longent la cuve Saint-Vincent, mais elles n'augmentaient guère les ressources en logements parce qu'il y avait, comme contrepartie, une démolition d'anciennes maisons autour de la Cathédrale qui fut dégagée; des magasins s'agrandirent aux dépens des immeubles voisins. On commença donc à faire déborder la Ville sur les voies d'accès : un peu sur la route d'Ardon, beaucoup sur chemins qui vont vers la Gare, la rampe Saint-Marcel, la rue Lenain, l'avenue Gambetta.

 

Les municipalités d'alors eurent courte-vue, ou peut-être subirent-elles trop l'influence des commerçants du plateau qui voulaient conserver leur prospérité, car elles auraient crier que partout les gares attirent les constructions, que c'est une règle générale, que les centres urbains tendent à se déplacer et à s'approcher de la gare. Un plan d'aménagement du bas de la montagne de Vaux à La Neuville devait être établi. L'espace était libre. Nous ne verrions pas la municipalité d'après guerre, avec peine, avec plus de dépenses s'efforcer de réparer les conséquences de la faute commise et de mettre de l'ordre dans la cohue des maisons qui s'édifièrent déjà nombreuses de Vaux à Saint-Marcel avant 1914.

Problèmes posés par la guerre. — La gare de Laon, avec ses sept directions, était devenue importante comme gare de triage. Les formations de trains, les transbordements, les ateliers de réparations, les services divers étaient gênés par le manque de place et il était impossible d'en avoir sans recourir à des expropriations coûteuses et traînant en longueur car il y avait notamment une fabrique de sucre à incorporer. La mobilisation révéla, en plus, l'importance de la gare de Laon en temps de guerre et il fallut toute la maîtrise d'un personnel éprouvé et patriote pour assurer un service ininterrompu sans embouteillage.

Il était d'urgence, la guerre terminée, de bâtir largement dans le neuf sur les ruines. Des facilités furent données pour les expropriations et la Compagnie du Nord put étendre ses voies et services sur une surface de peut-être trois cents hectares, faisant de la gare de Laon une des mieux outillées de son réseau. La gêne et le danger des passages à niveau furent supprimés par l'établissement, à Vaux, à Saint-Marcel, à Loisy, de passages supérieurs en ciment armé qui sont des œuvres très intéressantes de cette nouvelle technique de construction.

L'extension de la gare et de ses services, l'application de la loi de huit heures appe­laient l'augmentation du nombre des employés. Les logements, déjà insuffisants avant 1914, avaient diminué par la dévastation. Les milliers d'employés appelés pour les services de la reconstitution, les architectes, les entrepreneurs, les sans logis de la région se disputèrent au plus offrant ceux qui restaient. Il fallait donc pour la Compagnie recourir à une solution radicale : créer une petite ville pour le logement de ses employés, lesquels avec leurs familles donnent bien un total de trois mille personnes. En quelques années elle a fourni un effort formidable en ajoutant à ses travaux techniques la création de cette cité des cheminots, pittoresque agglomération de baraques, de coquettes villas entourées de jardinets, séparées par des chemins bien entretenus, pourvus d'égouts, de canalisation d'eau, d'installations électriques. Par l'aménagement de places, de squares, de terrains de jeux, elle a su éviter le fouillis des constructions. Trois belles écoles, des salles de réunions, etc., toutes précédées de pelouses fleuries constituent des centres saillants de décoration. Bref, partout on fit sentir la volonté de donner à-profusion de l'air, de la lumière, du confort dans un milieu fait pour le plaisir des yeux.

Ce qui est bien, c'est que le même souci s'est retrouvé pour les gares elles-mêmes qui sont maintenant soignées et fleuries.

L’État et la Ville, pour loger au plus vite le restant des sans-abris, firent dresser des baraques dans tous les espaces libres en attendant que des demeures plus confortables aient été édifiées.

 

 

 

 Laon régénéré. Ayant pourvu au  plus pressé par du provisoire, la municipalité de Laon eut à dresser un programme d'améliorations, établir un plan d'aménagement des quartiers dévastés de la Ville, à le mettre sans tarder à exécution. Le maire, M. Nanquette, qui, par sa qualité d'industriel, est un homme de réalisations, mit ses efforts pour tout mener de front avec activité. Les routes furent réparées, pourvues de trottoirs pavés. Des voies nouvelles, notamment le boulevard Gras-Brancourt et le boulevard de Lyon, furent crées pour drainer la circulation de Vaux et d'Ardon vers la gare et alléger celle de la rue des Ecoles. Ces créations étaient rendues difficiles par l'existence de constructions et mettaient en évidence la faute commise par les municipalités qui ne s'étaient pas préoccupées du devenir de la région de la gare.

Par des achats de propriétés, par des ententes avec l'Etat, la Ville s'est pourvue d'emplacements pour les édifices à construire : Marché couvert, Poste, Ecoles, etc., et pour l'agrandissement des jardins et des places publiques prévus ou déjà réalisés, comme au square du Monument aux Morts ou au square du Pont de Vaux.

Les anciens squares ou jardins, les promenades du tour de ville sont non seulement remis en état, mais, après un travail considérable de nivellement, agrandis et aménagés avec un goût parfait, et forment un ensemble peut-être unique en France pour le pittoresque, la variété, l'étendue des paysages qui s'offrent à la vue.

 

 

 

La partie Ouest du Plateau se transforme en un quartier des Écoles. L’École normale d'Instituteurs se répare, l’École normale des Filles s'achève, le Lycée prend plus d'importance par la création d'écoles pratiques annexes. Un Lycée de Jeunes Filles est projeté sur l'emplacement de la Caserne Saint-Martin détruite par les bombardements. Peut-être suis-je mauvais juge en trouvant l'emplacement mal choisi : en dehors d'autres considérations, il est trop excentré. Il me semble qu'il aurait été facile de lui trouver un emplacement à mi-côte dans les terrains qui appartiennent à la Ville par le legs Basselet, que là il serait mieux à la portée des étudiantes, et serait un ornement pour la Ville, face à la gare.

A l'action de la Ville et de la Compagnie du Nord s'est ajoutée celle de la population reconstruisant des logements. Laon, comme toutes les villes des régions dévastées a profité de la faculté donnée aux sinistrés de faire remploi de leurs dommages de guerre dans un rayon de 50 km. Sur tous les espaces libres des faubourgs s'élèvent de nouvelles maisons payées à l'aide de dommages subis dans la campagne. D'Ardon à La Neuville, les faubourgs sont maintenant reliés par une suite continue d'habitations. Le mouvement d'extension n'est pas encore arrêté et on peut se demander si à un moment donné il n'y aura pas surabondance. Jusqu'alors les maisons libres sont occupées au fur et à mesure par les locataires de baraques et le malaise n'existe pas, mais il faut prévoir que la population flottante d'employés, d'architectes, d'entrepreneurs, d'ouvriers ne trouvant plus à gagner sa vie à Laon, ira la chercher ailleurs ; que les commerçants qui se multiplièrent et prospérèrent lorsque les besoins étaient grands ne seront pas toujours aussi nombreux. Il y a moins de logements à fournir aux officiers. Lorsque le malaise causé par la surproduction industrielle se fait sentir dans le monde entier, Laon peut-ii espérer que des industries amèneront de la main-d'œuvre ? Il apparaît qu'il restera, comme auparavant, une ville de fonctionnaires, d'employés, d'établissements scolaires et charitables, un centre de commerce. Alors revenu à l'état normal il aurait trop de logements, et circonstance mauvaise, de maisons éparpillées sur une surface peut-être aussi étendue que celle de la Ville de Reims d'où, proportionnellement pour la Ville, des frais plus considérables pour la création et l'entretien des chemins et des canalisations de toutes natures.

 

 

 

Un autre facteur interviendra peut-être alors qui atténuera le mal. La vieille ville du Plateau a beaucoup de logements resserrés, peu logeables, souvent insalubres qui seront abandonnés lorsqu'on pourra les remplacer par d'autres plus modernes avec des jardins. Les masures grevées de gros frais d'entretien n'ayant plus d'occupants seront rachetées par les propriétaires voisins qui les feront démolir pour rendre leur demeure plus confortable. Mais si cette vue se réalise les faubourgs et les pentes augmenteront leur population aux dépens du Plateau.

Pour finir, la vieille ville de Laon est devenue une des villes les plus pittoresques de la France. Son tour de ville sur les promenades, au pied des remparts est merveilleux. A chaque tournant, des paysages variés s'offrent à la vue : au Nord, c'est au loin la riche plaine du Laonnois qui se développe avec son semis de villages et de fermes opulentes ; au pied de la montagne c'est comme la vue en aéroplane des faubourgs du Nord, de la gare avec sonanimation et de son agréable villagedes cheminots. Sous la citadelle, on aperçoit la plaine barrée au fond par les collines où on aime à repérer, à l'extrémité visible, les buttes isolées de Coucy-les-Eppes et de Montaigu, puis l'emplacement des villages de Veslud, Parfondru, Bruyères tapis dans la verdure au pied de ces collines. A la porte d'Ardon, autre aspect : Saint-Vincent se montre comme l'autre éperon qui, avec la Préfecture, garde l'entrée de la cuve ; dans le bas, les riches jardinages d'Ardon ; la plaine qui prend l'aspect boisé jusqu'aux collines de Bruyères, Verges, Presles, etc., et, en dernier plan, la silhouette du fort de La Malmaison, si nommé pendant la guerre qui marque le commencement du Chemin des Dames. Et toujours, en continuant le tour de ville, les aspects se renouvellent agréables et variés.

Tous ces paysages gagnent encore en variété suivant les saisons et les heures. Je ne citerai qu'un effet extraordinaire qu'on observe le matin aux approches de l'hiver. Des promenades, où on se trouve dans l’air pur, on voit, au lever du soleil, un brouillard s'étendre peu à peu sur la plaine, à faible hauteur, et lui donner l'aspect d'une mer ; les vapeurs et fumées des locomotives forment de grands panaches, les sommets des constructions émergent, et comme elles ont depuis la guerre des formes inconnues auparavant, on a l'impression de voir une ville de rêve oriental s'enfonçant dans les eaux. Puis la montée continue, un quart d'heure après la mer de brouillard a englouti le bas et monte à l'assaut de la montagne pour tout noyer dans un déluge.

A d'autres moments, c'est l'effet contraire : ce sont les nuages qui descendent, atteignent les tours de la cathédrale pour embrumer ensuite tout le plateau.

Aux heures du soir, lorsqu'on quitte la ville haute pour redescendre à la gare, c'est un émerveillement en traversant la promenade d'apercevoir dans te bas un semis de lumières qui fait penser à un ciel étoile prolongé sur la terre.

Si, autrefois, l'escalade de la montagne par l'escalier ou les grimpettes faisait maudire la Ville, il n'en est plus de même maintenant qu'un tramway à crémaillère permet l'ascension sans effort. Pour être juste, il faut reconnaître Laon comme une petite ville originale par tous les souvenirs historiques qu'elle évoque ; par ses vieux édifices, sa belle Cathédrale, son Palais de justice, ancien Palais épiscopal, ses remparts aux portes fortifiées du moyen âge, ses anciennes demeures ; par sa situation, par la variété de ses aspects ; par le contraste d'ancien et de moderne de ses parties. Elle mérite d'être visitée par les touristes qui vont souvent bien loin voir des villes et des régions qui n'ont pas l'attrait de Laon et de ses environs.

 


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