LAON

Son accroissemeiit  depuis cent ans

L'humanité, les peuples, les cités, avancent sur la ligne du temps comme sur une grande route qui se mesure par siècles. Tantôt la voie est plate pendant une longue durée : la vie s'écoule régulière, médiocre ou bonne ; puis elle devient accidentée, à une montée rapide succède après quelques mauvais passages une descente qui ramène à la route mieux nivelée pendant un long parcours, et c'est pour l'humanité, l'alternative de grands espoirs, de beaux rêves, de profonds découragements pour arriver à un équilibre momentané, et tout recommence.

Un siècle, au premier abord, cela paraît bien long, il peut s'y produire tant d'événements ! Mais à bien y penser ce n'est pour l'observateur que la durée de père à fils. Ce qui s'est passé pendant ce temps on peut l'avoir observé lorsqu'on touche à la vieillesse et en avoir écouté le récit de ses parents ou des anciens de leur âge ; il y a cent ans, mon père avait seize ans !

Ce sont ces idées qui me traversaient l'esprit en examinant un plan de Laon, dont la reproduction est jointe à ces quelques lignes. Je ne sais pas à quelle date il a été dressé, mais au premier examen on reconnaît un plan ancien de la carte, dite de l'Etat-Major ; même facture, même exactitude, seulement à une échelle plus grande que la carte que tout le monde connaît, laquelle est au l/80.000e, tandis que ce plan est au 1/20.000e . Autrement dit, un millimètre sur ce plan représente vingt mètres sur le terrain.

Détaillé minutieusement, il appuie la conviction qu'il représente la topographie de Laon il y a environ un siècle, et, c'est un attrait pour les Laonnois d'y trouver la preuve de l'évolution de la ville pendant cet espace, et en reprenant l'image du début de constater la montée de la cité sur la route du temps.

Je vais chercher à la montrer.

Ce qu'on remarque d'abord c'est le peu d'importance des faubourgs, petites agglomérations réduites à quelques bouts de rues ou à un semis de maisons détachées à des croisements de chemins. Vaux est le plus important, il est à un carrefour de grandes routes, et, évidemment le roulage lui donnait de l'animation et stimulait son commerce.

Ces noyaux sont encore faciles à reconnaître : ils sont formés de maisons basses, construites en moellons, couvertes souvent en tuiles plates, c'est-à-dire avec des matériaux du pays, car les transports en voiture auraient rendu trop onéreux l'apport de produits lointains.

La part de la population des faubourgs ne devait pas être très importante dans la population totale de Laon qui en chiffres ronds, de 7.000 en 1810, arriva à 10.000 en 1852, puis à 10.500 en 1878 et à 19.500 actuellement.

Gare. — La gare et les chemins de fer qui couvrent actuellement une si grande étendue, peut-être trois cents hectares, au nord de la colline n'existaient pas, et nous reportent la date du plan avant 1850, époque de l'établissement de la première ligne de chemin de fer pour raccorder la ville à la ligne de Paris à la frontière nord par Saint-Quentin, alors en construction et dont la concession datait du 13 juillet 1845.

Voies d'accès. — S'il n'y avait pas la gare, naturellement nous ne trouvons pas le boulevard Carnot, pas d'escalier, mais seulement les grimpettes de la Ruelle-aux-Loups, de la Croix-Rouge, qui font tant gémir les étrangers à Laon. Nous sommes amenés à chercher les routes actuelles qui, serpentant sur les pentes de la colline, élèvent à cent mètres de hauteur, par une pente raisonnable, les voitures en ville : elles n'existaient pas. Pas d'avenue Gambetta, pas de rampe d'Ardon, pas de routes de Semilly et de la Neuville. Comment les voitures chargées pouvaient-elles être hissées au sommet du plateau par la rue Lenain, la rampe Saint-Marcel, la grimpette de la Neuville et les autres grimpettes du Midi, alors que les chevaux soufflent à tirer une voiture à vide ? La route ancienne de Semilly qui était l'aboutissement de la route de Paris, donc importante, était encore bien raide, elle est pour cette raison délaissée maintenant. A droite de l'escalier une route nouvelle est amorcée, qui doit s'élever sur la pente nord de la Montagne pour aboutir au champ Saint-Martin où l'ancienne caserne d'artillerie a fait place à un lycée de jeunes filles et à un quartier neuf. Route tardive, car faite plus tôt, elle aurait permis l'édification de maisons qu'on a bâties, faute de place, loin du centre, au dommage général de la ville ; de plus elle allégerait la circulation, trop intensive rue Gambetta.

Plateau. — Si nous reprenons plus attentivement le plan en commençant par la ville haute, nous voyons que celle-ci a peu. changé dans la partie Est et la partie centrale. C'est facile à comprendre : comment remanier ces blocs de constructions, élargir ou redresser les rues sans rendre les maisons inhabitables, elles qui ne sont déjà pas bien commodes, et sans recourir à des expropriations ruineuses ?

Mais si on suit les Chenizelles en se dirigeant vers l'ouest, on arrive à la promenade, ombragée autrefois de grands ormes, avec vue agréable sur la Cuve Saint-Vincent, On trouve à sa place le boulevard Michelet et l'avenue de la République avec, sur le bord de la Cuve, un rideau de maisons récentes qui se poursuit jusqu'à l'Ecole normale. A partir de là, toute la partie ouest de la ville a été remaniée.

Après la guerre de 1870, lorsqu'on commença à fortifier le pays, on établit un arsenal à la pointe Saint-Vincent où le plan indique déjà une poudrière, en expropriant le monastère, et on transforma la promenade en route jusqu'au rempart avec une rampe d'accès à la rue Saint-Martin. Après, successivement, s'édifièrent : l'Ecole normale des garçons en 1880-81 ; les terres de déblais furent versées dans la Cuve, et, plus tard, avec un apport de terres provenant du Lycée de garçons, donnèrent la plate-forme en face de l'Ecole ; le Lycée, construit de 1884 à 1887 sur la plus grande partie du vide du plan existant dans l'enceinte des remparts, après expropriation de quelques maisons sur l'emplacement de la façade. Le rempart brisé du côté est fut conservé, mais on le cacha par un mur de soutènement en moellons avec parement en briques. La tour d'angle, près de l'Ecole normale, resta comme souvenir de son existence sur la demande d'Henri Martin l'historien, sénateur de l'Aisne. Depuis la dernière guerre on a élevé une Ecole normale d'institutrices dans le jardin de l'Ecole normale des garçons avec entrée d'honneur face à la porte Saint-Martin. Cette école avait été installée avant guerre dans la vieille Ecole normale d'instituteurs, mais en 1919, la Préfecture, à l'étroit dans ses locaux, s'en empara pour loger les services financiers de la reconstitution.

En remontant vers le champ Saint-Martin, nous arrivons dans un quartier en plein remaniement. La caserne, démolie par les bombardements, n'avait aucune raison, d'être refaite en cet endroit, puisqu'une autre, non encore terminée à cette époque, la remplaçait à Semilly. Alors la ville entra en pourparlers avec l'Etat pour acheter les terrains. Là s'édifie un quartier neuf près d'un lycée de jeunes filles dont la construction se termine. Il est peut- être un peu éloigné du centre de la ville, mais on y a de l'air si ce n'est trop, et, lorsque le boulevard Jean-Jaurès, partant de là pour aller directement à la gare sera fait, il paraîtra moins isolé.

Près du champ Saint-Martin existe sur le plan un grand vide qui représente les jardins de l'Hôtel-Dieu, autrefois limités au nord par la rue des Casernes. Actuellement cette bordure est occupée par le réservoir des eaux de la ville pour le plateau, par deux maisons et la cité Beynel, ainsi nommée du nom de son propriétaire, entrepreneur de la construction du Lycée, qui l'édifia pour fournir de nouveaux logements à la ville qui en manquait.

L'absence de réservoir nous amène à remarquer que l'usine à eau près d'Ardon n'existait pas. La population ne pouvait s'approvisionner en eau qu'aux puits et aux sources, lesquelles au nombre d'une dizaine, existent sur le pourtour du plateau dont c'est une particularité, facile à expliquer d'ailleurs. La montagne de Laon est une butte de sable surmontée d'un banc de calcaire grossier. Entre le sable et le calcaire, tous deux perméables, s'étend une faible couche de glaise imperméable qui, naturellement, ne s'est pas déposée parfaitement de niveau, qui est un peu ondulée. L'eau de pluie s'infiltre dans le calcaire, est arrêtée par l'argile, et alimente des sources aux affleurements les plus bas. L'eau des toits et des chemins va aux égouts, les surfaces perméables des jardins sont rares, les sources ne peuvent pas être abondantes. Mais il y a une autre origine à leur alimentation : on a exploité sous la ville le banc de calcaire pour sa construction et les maisons possèdent souvent trois ou quatre caves superposées. La dernière arrivant à la couche imperméable n'est guère praticable, elle reçoit souvent les eaux usées et sert de fosse d'aisance économique, puisqu'on ne la vide jamais. Les liquides se mêlent à la nappe aquifère et se retrouvent en partie dans l'eau dès sources, qui n'est donc pas hygiénique. Certaines maisons avaient des citernes ; enfin, une note de pittoresque était fournie par les âniers qui montaient en ville l'eau des sources d'Ardon.

Autour de la Montagne. — En continuant notre examen autour du plateau, nous pouvons faire de nouvelles remarques. Au nord tout l'espace libre du plan est occupé par la Gare, la cité des cheminots, l'agrandissement de Vaux jusqu'au pont des Moutons, jusqu'au nouveau cimetière, La Neuville rejoint Ardon par une suite à peu près ininterrompue de maisons par Saint-Marcel et Vaux. Le bois de Breuil, alors assez étendu, est réduit à un faible espace. Des locaux d'industrie ou de commerce qu'on trouve habituellement dans le voisinage des gares détachées, il n'est naturellement rien : pas de sucrerie, pas d'usine à gaz. Les emplacements des anciennes maisons étaient en jardinages et les premières construites le furent en pierre de taille de la région. Les briques, si employées ensuite, ne purent être fabriquées que lorsque le chemin de fer amena économiquement la houille nécessaire à leur cuisson.

Sur les pentes, partout où l'inclinaison n'était pas trop forte, des maisons ont été bâties sur le bord des routes : Avenue Gambetta, rue Lenain, Rampe Saint-Marcel, subissant l'effet général de l'attraction des gares qui partout deviennent des centres.

En contournant la montagne vers l'Est on se trouve dans une rue continue jusqu'à Ardon. Les maisons de jardiniers marquées sur le plan existent toujours et se distinguent facilement des constructions plus récentes. Leurs jardins bien exposés, abrités des mauvais vents, arrosés par les eaux qui se sont infiltrées dans le sable des pentes ont été respectés.

Peu de changements d'Ardon à Leuilly, à Semilly, à La Neuville, effet de l'éloignement de la gare : à mentionner les routes à pente moins raide de Semilly et La Neuville à la porte Saint-Martin et la construction d'une caserne d'artillerie près de Semilly.

On peut observer qu'il existait autrefois des tuileries dans le voisinage de ce faubourg. C'était vraisemblablement de là que les constructeurs tiraient des briques, et les tuiles plates qui couvraient beaucoup d'anciennes maisons, comme nous l'avons fait remarquer.

Où ont été construites les batteries de Morlot, de Classon, sur une butte au sud du champ de tir l'existence de moulins à vent est signalée : c'est toujours la même loi, se procurer chez soi ce qu'il n'est pas facile d'aller chercher ailleurs et sur ces pointes de montagne ces moulins ne devaient pas souvent chômer.

A l'ouest de La Neuville, près de la ferme d'Avin, il y avait des bois assez étendus qui ont été défrichés ; le champ de manœuvre n'était pas aménagé.

Enfin, revenu à notre point de départ, nous pourrons nous rendre compte de l'accroissement de Montreuil qui du haut de la montagne apparaît maintenant comme un village.

Causes d'accroissement. — II n'est pas sans intérêt de rechercher les causes qui ont provoqué l'accroissement de la ville.

La division de la France en départements a fait de Laon un chef-lieu par suite de sa position centrale, de l'importance qu'il avait déjà, et de son rayonnement de routes. Un chef-lieu cela signifie que les administrations centrales de la Capitale ont là des relais, des rouages qui transmettront le mouvement, plus ou moins directement à tout le reste du département. Cette machine d'Etat est terriblement compliquée, et le devient de plus en plus : chaque année on crée de nouveaux organismes, sans jamais simplifier, et conséquemment il faut une armée de fonctionnaires pour lui donner le mouvement. C'est là d'abord que se trouve le point principal de la prospérité de Laon.

En second lieu, l'existence d'une gare qui est devenue importante comme nœud de chemins de fer, qui occupe des centaines d'employés, surtout depuis que leur nombre a augmenté avec la loi de huit heures.

La gare a attiré, par la facilité des communications, la fondation de nombreux établissements commerciaux. L'agence aux grains amène les cultivateurs de la région, à leur portée se sont établies des maisons de vente d'instruments agricoles, d'engrais chimiques ; des succursales des grandes firmes d'automobiles, des grands établissements financiers. Il y a cinquante ans, je ne connaissais à Laon qu'une banque, il y en a maintenant une dizaine, toutes bien pourvues d'employés.

Les hommes sont en apparence devenus bien prévoyants : pour se garer de toutes les calamités qui peuvent les atteindre, ils font des contrats d'assurances contre l'incendie, sur la vie, contre la grêle, la mortalité du bétail, les accidents d'automobiles, etc. Naturellement Laon a des agences de toutes les compagnies qui garantissent contre ces risques : combien ? Je ne sais pas, mais beaucoup.

C'est encore le chef-lieu qui vaut à Laon d'avoir les écoles normales de garçons et de filles ; les lycées de garçons et de filles ; les établissements d'instruction primaire supérieure et professionnelle qui attirent une population non négligeable à notre ville ; les établissements hospitaliers : Hôtel-Dieu, Hôpital, Montreuil, Sourdes-Muettes. Laon, poste-vigie pour les invasions, a toujours un effectif de troupes qui devrait être plus important si la politique ne jouait pas contre l'intérêt du pays.

Dans le chiffre de la population actuelle il n'y a pas à négliger l'apport qu'a nécessité la remise en état des régions dévastées, soit comme employés des services de réparations, soit comme architectes, entrepreneurs et ouvriers.

Enfin, quand une ville se peuple, il faut plus de commerçants et actuellement les besoins de l'individu sont plus grands qu'il y a cent ans où on n'avait pas tout le confort moderne. Laon a été comblé, l'épidémie de l'idée : la fortune par le commerce s'est étendu jusqu'ici.

Laon n'est pas une ville industrielle, ce qu'elle gagne compense à peine à ce qu'elle perd.

L'Avenir. — Sur la route du temps Laon a monté pendant le siècle passé. La montée va-t-elle continuer ? Un palier va-t-il succéder ? ou une descente ? Il y a du brouillard, on ne voit pas bien.

Réfléchissons un peu.

Dans le monde entier cela ne va pas. L'industrie et la culture industrielle produisent trop en occupant de moins en moins de personnel. La production ne peut être absorbée, d'où chômage.

La sagesse conseille de diminuer son train de vie lorsqu'on n'a plus assez de revenus pour payer ses dépenses. Actuellement les Etats font le contraire, nous manquons d'argent ? Empruntons ! Augmentons nos dépenses de l'intérêt que nous aurons à payer jusqu'à ce qu'arrivé la faillite ! Il n'y a qu'un bon remède, diminuer ses dépenses, faire des économies, mais pour cela il faut de la volonté, de l'énergie, de la continuité. Espérons que c'est le remède que nous adopterons.

Mais cette solution sera-t-elle à l'avantage de Laon ? Si on simplifie, si on fait des économies ce ne sera qu'en diminuant le nombre des fonctionnaires et peut-être leur traitement. Alors la population diminuera et ses dépenses aussi. Les chemins de fer ont des milliards de déficit, le commerce se ralentit, les autos leur font concurrence, ils sont dans une situation qui ne peut s'éterniser : il faudra forcément arriver à un équilibre des recettes et des dépenses. Je crois que le nombre d'employés paiera son tribut.

Ainsi, en présence du brouillard de l'avenir, il est bien difficile d'être prophète, mais je penche pour une diminution de la population laonnoise, et je me demande si l'administration de la ville qui pousse à la construction de nouvelles maisons est bien inspirée.


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